Tribune de Gabriel Della-Monica, fondateur d’Hydrao, entreprise grenobloise spécialisée dans la préservation de l’eau et de l’énergie
La crise de la Covid-19 aura eu le mérite de retarder de 3 semaines le “jour du dépassement”, prévu autour du 22 août dernier, date à laquelle l’humanité aura consommé toutes les ressources que les écosystèmes peuvent produire en une année. Mais doit-on miser sur des crises pour soulager la planète et accélérer les prises de consciences collectives ? Ou est-ce plutôt à chacun de nous d’en tirer des leçons ?
Les Français ont envoyé aux élus municipaux un signal fort lors du second tour des élections municipales. La poussée verte dans de nombreuses villes montre la nécessité de prendre en compte les enjeux climatiques à l’échelle locale. Les politiques urbaines et périurbaines ne peuvent être menées sans un plan d’action ambitieux en la matière.
Face à l’essor urbain, deux défis me semblent immenses : l’énergie et l’eau.
Gabriel Della Monica
Deux ressources intimement liées puisque la production de la première est fortement consommatrice de la seconde ; et vice-versa. Pomper, traiter, distribuer puis chauffer l’eau s’avère aussi très énergivore.
La demande urbaine en eau devrait doubler d’ici 2050, d’après la Banque Mondiale, or la quantité d’eau disponible dans un territoire n’est pas toujours alignée avec sa réalité démographique ! De nombreuses villes d’Europe subissent chaque été des restrictions d’eau dues à la sécheresse ; en particulier aux Pays-Bas et en Belgique, mais aussi en France, notamment dans les bassins Adour-Garonne (sud-ouest) et Loire-Bretagne. Selon le ministère de la Transition écologique et Solidaire, 73 départements français étaient déjà menacés par la sécheresse au 30 juin 2020.
Comment concilier croissance urbaine et gestion durable des ressources en eau ?
C’est surtout à l’échelle locale que la préservation de l’eau se joue. Ainsi, une mairie qui n’encourage pas dès aujourd’hui les économies d’eau prend le risque, demain, de ne plus pouvoir accueillir de nouveaux habitants. Ses principaux leviers pour économiser l’eau sont d’une part la réduction des fuites sur les réseaux d’eau potable, et d’autre part la diminution des consommations aux points d’usage.
Les fuites représentent encore un litre d’eau sur cinq distribués, selon l’Observatoire des services publics d’eau et d’assainissement, à cause du manque d’étanchéité de canalisations souvent vétustes ou corrodées par la qualité de l’eau. Un coût qui se répercute pourtant sur les factures des ménages. Face à ce constat, les outils numériques, accompagnés d’une exploitation maîtrisée des données qu’ils remontent, s’avèrent clés pour orienter intelligemment les investissements en matière de rénovation des réseaux. Ces outils restent encore trop peu exploités dans le domaine de l’eau, alors qu’ils permettent de privilégier une vraie maintenance prédictive et d’éviter des contrôles manuels “tous azimuts” in fine extrêmement coûteux.
Économiser l’eau aux points d’usage, l’affaire de tous
Un quart de la consommation d’eau potable en France relève de la sphère domestique. Si l’optimisation de la gestion des ressources passe indéniablement par l’innovation technologique, elle repose aussi sur la question de l’usage et de l’implication citoyenne. Au-delà d’une approche purement technique, il me semble indispensable d’associer les habitants à l’optimisation de la gestion des flux eau-énergie-déchets dans les lieux où ils vivent. La prise de conscience des citoyens sur leur capacité d’action ne pourra que renforcer l’efficacité de l’action publique.
Depuis la Loi Brottes de 2013, 50 collectivités volontaires regroupant 11 millions d’habitants, ont fait le choix d’une tarification sociale de l’eau pour garantir un plus juste accès à l’eau tout en limitant les consommations : gratuité des premiers mètres cubes, tarifs réduits et progressifs ou encore chèques eau. Cet engagement financier louable est généralement accompagné d’une sensibilisation des abonnés pour se prémunir des excès : alertes par SMS en cas de consommation élevée et suivi des risques de fuite. Une pédagogie qui mériterait d’aller un cran plus loin en offrant aux ménages les moyens concrets d’optimiser leur gestion de l’eau, de transformer une contrainte en opportunité. Par exemple, pourquoi ne pas aider les citoyens en précarité énergétique (la précarité eau étant corrélée) à s’équiper en systèmes hydro-économes ou à installer des solutions de réemploi de l’eau de pluie ?
Il est grand temps de réconcilier le besoin d’accès à l’eau pour tous et les besoins des générations futures !
Gabriel Della Monica
La réduction du gaspillage au point d’usage prend aussi tout son sens dans les piscines municipales, qui brassent des quantités d’eau pharaoniques. Combien de centres nautiques ignorent encore qu’ils peuvent bénéficier de subventions conséquentes pour remplacer leurs vieux systèmes de robinetterie, pour leurs douches et vestiaires, grâce aux Certificats d’Economie d’Energie ? Autre idée qui va dans le sens de la transition écologique : concernant l’eau des bassins, pourquoi ne pas imaginer un système de récupération des eaux usées pour alimenter les balayeuses chargées du nettoyage des trottoirs de la ville, comme le fait la piscine municipale de Seclin, dans les Hauts-de-France, pour alléger les dépenses communales ?
Aux maires donc, de repenser l’écologie de manière pédagogique, positive et innovante, et d’impliquer l’ensemble des citadins. Les élus ne peuvent plus faire la sourde oreille, à eux de dessiner les traits d’une ville plus respectueuse de ses ressources ! Les citoyens seront prêts à s’engager !